Extrait de texte Probablement invité par un appel magique du précieux liquide, Hector entra sur ces entrefaites accompagné du curé. « Ouais ! Heureusement que j'en avais remonté une autre, annonça Tiburce en tirant de la poche de son tablier un second trois-quarts, cacheté d’un bouchon de cire, enveloppé et protégé par un épais tissu de tarlaques emmêlées. — Bonjour mes amis ! — Monsieur le curé. Contemplez devant et en face de vous, un homme heureux ! proclama Hector en ouvrant généreusement ses bras vers Polin. — Et il peut l'être ! Quand on a un fils vaillant et sérieux dans la vie et qui de surcroît devient « International de rugby », on a légitimement le droit d'être fier et heureux. — Mais… de quoi vous parlez, là ?! ?! ?! s’interrogea et s’exclama Polin de nouveau envahi de méfiance. » Il n’était pas encore au courant de la sélection de Louis, alors, pas plus qu'il ne comprenait les diplômes des grandes écoles, il ne comprenait cette histoire d'international. Pendant qu’il tentait de remettre de l’ordre dans ses pensées, ce fut Duvair qui, étant resté sur la piste de Jérôme, montra que lui aussi avait rejoint le monde obscur de l'incompréhension : « Saint-Denis..! Saint-Cyr..! Saint-Ternational..! Major..! Je ne sais pas comment vous voyez les choses vous autres… mais, maintenant, je crois que c'est moi que j'n'y comprends que couik. — T'as pas entendu dans le poste ? demanda Jules offusqué, l'œil furibond, les jambes écartées, le revers des poignets posés sur ses hanches et les coudes poussés vers l'avant. — Quoi le poste ? Quoi le poste ? s'énerva Polin. Quel poste ? — Mais alors, t'es pas au courant ? — Ah, mais ! Qu'est-ce que vous avez tous après moi, aujourd'hui ? Quaijéfé moi.. ? — Éh bé… Il ne t'a rien dit, Louis ? — Et quoi, Louis ? Qu'est-ce qu'il a encore inventé celui-là ? demanda le père affolé. — Il n'a rien fait de grave, rassure-toi, intervint l'abbé. Mais assieds-toi plutôt, dit-il en l'accompagnant près d'une chaise pour lui annoncer la nouvelle avec ménagement. Louis est sélectionné dans l'équipe de France de rugby, pour jouer contre les Springboks, à Toulouse. — Vous vous foutez de moi, là… ? — Mais non, Polin, tu peux me croire… quand même ! Puisque c'est moi, qui te le dis. — Avec les grands qui jouent dans la télé ? Non ! Pas possible ! continua Polin toujours incrédule. — Oui ! Contre les Africains. — Pas possible… Pas possible… C'est pas Dieu possible..! Pas Louis. Pas lui, dit le papa maintenant ému et tout avachi. — Même dans mon vieux poste ils l’ont dit ! souligna Tiburce qui trouva là l’opportunité de révéler son exploit. — Et c'est tout l'effet que ça te fait ? s’étonna Amélie avant de le secouer un peu. — C'est trop pour la même journée… Tu sais comment je suis sentimental, moi… — Ah, ça ! releva Duvair qui avait essuyé les orages de sa sensiblerie précédemment. Pour ce qui est du sentiment, on peut vous faire confiance. Parfois même, vous en êtes débordant de sentiment. — … Le Louis qui est sélectionné, et le Jérôme qui nous revient de Paris avec un diplôme de majeur et avec une fiancée… il nous l'a écrit ce matin. — Une fiancée.. ! C'est parfait. Vous allez tous être réunis pour fêter les événements. — Ça va faire une belle table de famille, dis donc ? dit Amélie en calculant. Onze personne au moins… non, dix, mais ce n’est pas mal. — Et l'autre innocent qui va être international, se lamenta Polin presque aux pleurs. — Je ne sais pas comment vous voyez les choses vous autres, mais, à son âge, c'est tout simplement extraordinaire, voyons. — Eh oui ! Il va voyager, et pour un jeune, que peut-on espérer de mieux ? enjoliva Amélie un peu nunuche. — Oui, l'Ecosse, la Roumanie, l'Angleterre, l'Afrique, les Tongas, le Japon, Papeeté, partout dans le monde, se prit à rêvasser Hector. » Hector, était un homme à fantasmes. Pas des fantasmes pervers ou sensuels, mais des fantasmes de bonheur et de joie de vivre. S’il venait d’évoquer la Polynésie, c’était parce que ses délires et son imaginaire le faisaient fréquemment voyager et il avait l'impression de connaître à fond Tahiti simplement parce que tous les jours il se lavait avec un savon liquide au monoï. Ainsi, lorsqu’il prenait sa douche, il s’isolait du reste du monde, fermait les yeux et se transposait au cœur d'une troupe de plantureuses vahinés avec lesquelles il dansait un tamouré endiablé dans sa baignoire. Tous les jours il rêvait le maire. Il s'imaginait dans un tableau de Gauguin au milieu des couleurs et des senteurs des fleurs de thiaré, et il croyait encore que sur cette île du pacifique, tout restait constamment parfumé parce qu'on avait Papeete. |